Langues et littérature - Genres littéraires
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Le journal d'un fou : hésitation et folie dans le labyrinthe du fantastique
Le Journal d'un Fou est considéré comme un chef-d'œuvre de la littérature russe. Sa prose incisive et sa puissance émotionnelle font de ce récit une expérience littéraire unique et inoubliable. Cette oeuvre nous plonge dans les pensées d'un homme en proie à la folie. Son journal intime devient le miroir de sa déchéance mentale, un récit poignant et troublant.
Communément, le genre fantastique se définit par la présence ou l'apparition d'éléments, qui sont hors du commun à l'univers de l'histoire. Le surnaturel est là pour provoquer la peur, l'angoisse, la confusion et l’hésitation, que ce soit pour le lecteur ou les personnages. Ainsi, les éléments du fantastique définis précédemment se retrouvent dans le style grotesque de Gogol, qui les exacerbe et les utilise pour créer une atmosphère unique et dérangeante dans 'Le Journal d'un Fou':
-L’implication de l’étrange, du laid, du dégoûtant, mais, surtout, du fantastique.
-L’appel à la pitié du lecteur, concernant l’élément surnaturel ou pour les victimes du surnaturel.
-La métamorphose du monde réel et des perceptions faussées des personnages, qui sont si farfelues et éloignées de la réalité, qu’elles sont qualifiables de « fantastiques. »
Le journal d'un fou : présentation et analyse
Le Journal d’un Fou présente le personnage de Popritchine, un homme souffrant très clairement d'un trouble mental psychotique, qui altère sa perception de la réalité. Il est également fonctionnaire dans une entreprise, très méprisé par tous ses collègues en vue de son inefficacité et son hyperactivité. En raison de ses désillusions, il présente des traits de narcissisme, pensant que les autres le haïssent en raison d’une prétendue jalousie qu'ils lui portent. Durant tout le récit, Popritchine narre son quotidien qui devient progressivement de plus en plus fou…
… mais seulement dans sa tête.
Le fantastique dans le journal d'un fou
Afin de mieux comprendre les caractéristiques que nous pourrions retrouver dans les œuvres fantastiques, étudions-les à travers l’œuvre de Nikolai Gogol.
Premièrement, on note l’exploitation du format de la nouvelle qui est au service du fantastique et de la folie de Popritchine. En effet, une des caractéristiques des nouvelles est le fait qu’elles s’achèvent par une chute, pour ainsi dire : un événement inattendu. Le Journal d’un Fou se termine par un évènement marquant, or, la dernière phrase prononcée n'a aucun rapport avec ce qui est en train de se passer :
« À propos, savez-vous que le dey d’Alger a une verrue sur le nez ? »
L’histoire n’apporte pas de solution au problème de la folie et nous redirige vers un sujet totalement différent. Cette fin ouverte et cette phrase absurde montrent que l’élément de fantastique n’a pas de solution, ni d’explication, puisqu’on ne nous révèle pas les raisons de la folie du personnage. Cette fin empêche le rationnel de rentrer dans l’histoire et de briser le fantastique.
Ensuite on remarque au fil de la lecture un désordre chronologique. Le journal est divisé en dates qui débutent normalement, comme le « 3 octobre. » Cependant, ces dates vont dénoter la descente dans la folie du personnage, en plaçant des mois qui ne se suivent pas comme « Madrid. 30 Février » avant le « Le janvier de la même année qui suit février », ensuite des dates irréelles « 34 Mars. Février 349 », imprécises « Le 1er » ou même inexistantes « Pas de date. Ce jour n’avait pas de date. » Le lecteur est placé dans la peau du personnage principal puisque, tout comme lui, il est perdu dans le temps.
Au niveau des lieux, nous commençons l’histoire en Russie, sans réelle étrangeté. Or, lorsqu’il arrive en Espagne, une de ses désillusions fait qu’il pense que l’Espagne et la Chine sont un même pays, d’où le fait que Popritchine est perdu à la fois dans le temps et dans l’espace. De plus, dans un passage, il se met à voir l’Italie, la France et la Russie en même temps, comme s’il voyait ces trois pays tous en face de lui.
Ainsi, la distorsion du temps et de l'espace renforce la confusion du lecteur en lisant cette œuvre fantastique.
Dans Introduction à la littérature fantastique, Tzvetan Todorov affirme que le fantastique se distingue des autres genres par l'hésitation qu'il produit entre le surnaturel et le naturel, le possible ou l'impossible et parfois entre le logique et l'illogique.
La surprise dans le fantastique du Journal d’un Fou vient de l’hésitation que l’on ressent en écoutant les dires du fou. Gogol donne une fausse piste au lecteur, qui croit que l’élément de fantastique est Popritchine, or, ce n'est pas le fou qui nous surprend, mais sa folie et sa perception du monde. Le lecteur est troublé par Le Journal d’un Fou, puisqu'il n’a pas la capacité de se détacher de l’hésitation. Le personnage est réel, mais « fou, » donc quand faut-il le croire ?
Le personnage de l’étrange, Popritchine, n’est pas « fantastique, » en soi. La présence d’un fou n’est pas étrange (en vue de l’existence des troubles mentaux), c’est sa psychose qui est étrange. Ce qui est une pathologie réelle et humaine devient un élément asservi au fantastique, puisqu'elle change la perception du monde et le rend objectivement « fantastique. »
De surcroît, en raison de la narration focalisée sur le mode de pensée du fou, nous sommes obligatoirement forcés de percevoir le monde tel qu'il le voit. Nous essayons de voir l’intrigue de façon réaliste, mais nous ne pouvons jamais complètement nous détacher de la perception du fou. Cet effet nous apporte un certain fantastique où, nous, lecteurs, essayons d’ignorer le narrateur pour ne pas voir le monde comme le personnage principal. Dans un sens, la narration de la folie de Popritchine « affole » le lecteur.
Pour conclure, Nikolai Gogol exploite plusieurs caractéristiques du fantastique pour représenter le genre dans Le Journal d’un Fou, mais également d’autres éléments qui sont à son service et qui tournent principalement autour du thème de la folie. L’œuvre de Gogol rappelle le fantastique du Horla de Maupassant, dont le fantastique ressort de la psyché du personnage, qui transforme l'univers de l’œuvre, pour y intégrer le fantastique.