Histoire |Archéologie - Communauté juive
Histoire |Archéologie - Communauté juive
Synagogue de Beyrouth après rénovation en 2010 © Page Facebook du conseil de la communauté juive libanaise
Les juifs du Liban, une mémoire oubliée au cœur du Levant
Longtemps ignorée ou réduite au silence, l’histoire des Juifs du Liban demeure l’un des chapitres les plus méconnus du patrimoine national. Présente depuis l’Antiquité, cette communauté a activement participé à la vie économique, sociale et culturelle du pays, avant d’être lentement effacée par les tensions régionales et les amalgames identitaires. Redonner voix à cette mémoire oubliée, c’est rappeler qu’un Liban véritablement pluraliste ne saurait se construire sans la reconnaissance de toutes ses composantes.
Longtemps perçu comme un modèle de coexistence, le Liban a abrité une communauté juive dynamique, dont l'empreinte sur l'histoire du pays reste méconnue. Pourtant, des premiers siècles avant notre ère jusqu'au milieu du XXe siècle, les Juifs du Liban ont été pleinement intégrés au tissu économique et culturel du pays. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une poignée, et leur présence s’efface peu à peu, rendant urgent le devoir de mémoire.
Un enracinement plurimillénaire
Les premières traces d’une communauté juive au Liban remontent au Ier siècle avant J.-C., avec des implantations à Sidon, puis progressivement à Beyrouth, Tripoli, Hasbaya ou encore Deir el-Qamar. Au XIXe siècle, alors que des pogroms frappent les juifs du Moyen-Orient, le Liban devient une terre d’accueil. Plus tard, au XXe siècle, la Seconde Guerre mondiale amène de nouveaux réfugiés juifs ashkénazes (communauté juive originaires d’Europe centrale et de l’Est) fuyant l’Europe.
En 1941, les juifs irakiens subissent le "Farhoud", un massacre qui pousse certains d’entre eux à trouver refuge au Liban. De même, la prise de Bagdad par les forces britanniques entraîne l’arrivée d’une vague migratoire juive. En parallèle, le Liban est un point de transit pour les juifs fuyant le nazisme en Europe, notamment ceux arrivant par le SS Frossoula et le SS Osiris en 1939.
Les Juifs libanais ne venaient pas uniquement du Moyen-Orient et de l'Europe. Certains étaient originaires d’Afrique du Nord, notamment du Maroc et de l’Algérie. Cette diversité a enrichi le Liban, donnant naissance à une communauté aux multiples accents et traditions, intégrée dans le tissu social et économique du pays.
La synagogue Maghen Abraham le 14 juin 1951 pour célébrer le jubilé de la synagogue © Page Facebook de Nagi Georges Zeidan
Une intégration réussie mais fragile
Contrairement à d'autres pays arabes, les Juifs du Liban bénéficiaient d’une reconnaissance officielle. Le quartier de Wadi Abou Jmil (Beyrouth) était le centre religieux et économique de la communauté. L'Alliance Israélite (peuple d’Israël biblique) Universelle y dispensait une éducation de qualité et favorisait leur intégration dans la société libanaise.
"Mon oncle possédait un atelier de bijoutier au cœur de Beyrouth fréquenté par des clients de toutes confessions, raconte Elias*. Son commerce prospérait, jusqu’au jour où il reçut une lettre anonyme lui sommant de quitter le pays. Quelques semaines plus tard, son magasin fut incendié, marquant le début de son exil vers la France. Ils ont dû tout quitter dont ce Liban qui était si cher à leurs yeux," se désole le jeune homme.
Sur le plan économique, les juifs ont joué un rôle crucial. Ils étaient médecins, avocats, commerçants, artisants et industriels. Orosdi Back, le premier grand magasin de Beyrouth, fut fondé par des entrepreneurs juifs. Toutefois, leur prospérité les a aussi exposés aux tensions sociales et politiques.
Malgré cette intégration réussie, la méfiance grandissait avec l’évolution du conflit israélo-arabe. En parallèle, la communauté juive tentait de garder un équilibre délicat entre son attachement au Liban et la nécessité d’éviter tout soupçon de loyauté envers Israël, une équation de plus en plus difficile à tenir au fil des décennies.
La tourmente du conflit israélo-arabe
Avec la création de l’État d’Israël en 1948, les juifs libanais sont confrontés à une suspicion grandissante. En 1950, Esther Penso, directrice de l’Alliance Israélite, est assassinée, marquant un tournant tragique pour la communauté. Si la violence à leur encontre restait marginale par rapport à d’autres pays arabes, une méfiance s’installait progressivement.
Des tensions grandissantes éclatent également dans les années 1960 et 1970. Certains députés libanais réclament l'exclusion des juifs de l'armée, tandis que des attaques ponctuelles visent des figures de la communauté. En 1984, onze dirigeants communautaires disparaissent mystérieusement. Certains sont retrouvés exécutés, plongeant les derniers juifs du Liban dans une peur silencieuse.
Pendant la guerre civile libanaise, Wadi Abou Jmil, devenu un champ de bataille entre factions, se vide peu à peu de ses habitants. Ceux qui peuvent fuient vers la France, les États-Unis ou encore l’Amérique latine. Ceux qui restent vivent dans l’ombre, évitant d’attirer l’attention.
Jocelyne*, enseignante de biologie, raconte qu’elle fut "contrainte de détruire tous les documents attestant mon identité juive après avoir reçu plusieurs menaces. Je vie aujourd'hui sous une fausse identité de chrétienne et suis obligée de voyager à l'étranger pour célébrer les fêtes." Aujourd'hui, il ne reste de la communauté juive libanaise que quelques 200 à 300 personnes attachées plus que jamais à leur terre natale. "J'aime le Liban, c'est mon pays et je refuse de devoir le quitter uniquement à cause de mes croyances religieuses ! Il faut dé-diaboliser les juifs et faire le discernement entre juifs et sionistes, je suis plus patriotique que beaucoup de libanais d'une autre confession qui n’hésitent pas à entraîner le pays dans des guerres destructrices pour faire plaisir à leurs maîtres à l'étranger !" s'exclame Jocelyne*
Rabbins libanais devant la synagogue Maghen Abraham © Page Facebook de Nagi Georges Zeidan
Un patrimoine en déshérence
Les synagogues, cimetières et institutions juives du Liban sont aujourd’hui laissés à l’abandon. La synagogue Maghen Abraham à Beyrouth, restaurée en 2010, reste fermée au public. D’autres, comme celles de Bhamdoun et Aley, sont en ruines. Le cimetière juif de Saïda a été partiellement détruit par des travaux routiers.
Bassem el-Hout, avocat de la communauté, avait souligné dans les médias que la confusion entre judaïsme et sionisme nuit à la perception des derniers juifs libanais. « Il faut que la télévision explique aux Libanais la différence entre les juifs et les sionistes », affirme-t-il. Même si Israël est considéré comme un ennemi du Liban, cela ne doit en aucun cas être une raison de marginaliser ou de suspecter les citoyens juifs libanais, dont l’histoire est ancrée dans celle du pays.
Aujourd’hui, certains vestiges de cette communauté disparaissent dans l’indifférence. L’ancienne synagogue de Saïda est devenue un refuge pour des familles déplacées. Les rues du vieux Beyrouth, autrefois animées par les commerces juifs, ont perdu cette effervescence.
Juif et sioniste : une distinction nécessaire
Être juif relève de l’appartenance à une identité religieuse et culturelle, tandis que le sionisme est un mouvement politique visant à la création et au maintien d’un État juif en Palestine. Tous les juifs ne sont pas sionistes et de nombreux sionistes ne sont pas juifs.
Cette distinction est fondamentale, notamment au Liban, où l’hostilité envers Israël ne devrait pas se traduire par une méfiance envers les Libanais de confession juive. De nombreuses familles juives libanaises étaient nationalistes, certaines ont même servi dans l’armée libanaise lors du conflit israélo-arabe de 1948.
Une perte pour l’identité libanaise
L’exode des Juifs du Liban symbolise la disparition d’un Liban pluriel, ouvert et cosmopolite. La communauté juive, autrefois partie intégrante de cette mosaïque confessionnelle, s’est effacée, laissant derrière elle un vide immense.
Aujourd’hui, alors que les dernières traces de cette communauté disparaissent, il est urgent d’en préserver la mémoire pour ne pas voir s’effacer, avec elle, une part de l’âme du Liban. L’histoire des Juifs libanais est celle d’un peuple enraciné, contraint à l’exil par une série d’événements tragiques.
*Les noms ont été changés pour préserver l'anonymat des interviewés.
Synagogue Maghen Abraham à Beyrouth © Page Facebook du conseil de la communauté juive libanaise