Environnement - Dendrochronologie
Environnement - Dendrochronologie
Lire l’histoire du climat dans le tronc des arbres
Au Liban, les cèdres et d'autres arbres centenaires se révèlent être des témoins précieux du climat passé. En analysant leurs croissance, les scientifiques retracent les événements climatiques extrêmes et l'impact du changement climatique dans la région, offrant des clés pour une meilleure gestion des ressources naturelles.
Les arbres ne sont pas que de simples végétaux, ils sont aussi des témoins précieux de l'histoire du climat. En analysant leurs anneaux de croissance, les scientifiques peuvent reconstituer les conditions météorologiques passées avec une précision étonnante. Au Liban, les forêts de cèdres et d'autres essences offrent une mine d'informations sur le climat de la région. En combinant ces données avec celles d'autres pays du bassin méditerranéen, les chercheurs ont pu déceler des informations importantes sur les changements climatiques qui ont marqué les siècles écoulés. Ces archives naturelles nous permettent de mieux comprendre les variations de température, de précipitations et d'autres paramètres importants. Elles nous éclairent également sur les événements climatiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, qui ont ponctué l'histoire de la région.
Emblème de notre pays, le cèdre du Liban, serait avec d’autres espèces comme le chêne caduc, les gardiens de notre histoire climatique. Cela est rendu possible par la dendroclimatologie, une technique permettant de déterminer les climats du passé à partir de l’étude des anneaux de croissance des arbres dont la formation serait influencée par ces conditions. Cela permettrait non seulement d’étudier l’impact du changement climatique dans la région, mais également de « faciliter la gestion et l’exploitation des ressources et l’impact de certains parasites sur certaines espèces comme Cephalcia tannourinensis, un ver qui s’attaque aux cèdres de la réserve de Tannourine », comme nous l’explique le professeur Jean Stéphan, enseignant-chercheur en conservation et gestion des ressources à l’Université Libanaise.
Dès le début des années 2000, de nombreuses menées ont permis de remonter les 500-600 dernières années, de cerner les périodes de sécheresse et de précipitations au sein des pays du bassin Est méditerranéen (Syrie, Jordanie, Liban, Chypre, Turquie et Grèce) et d’associer parfois ces périodes à d’autres événements ayant marqué la région, tels qu’une période de famine ayant touché la Turquie, la Syrie et l’Italie entre 1590 et 1595, durant laquelle les chercheurs ont enregistré la plus longue période de sécheresse de leur étude, entre 1591 et 1595. D’autres événements ont même influencé certaines décisions des empires locaux, tels que l’interdiction d’exporter les céréales produites par l’empire ottoman durant une période d’aridité entre 1570 et 1571. « On ne s’attendait pas à avoir une période de sécheresse aussi longue (5 ans NDLR) et qu’elle apparaisse deux fois au cours des 600 dernières années », raconte le professeur Stephan.
« Ce genre d’études est extrêmement intéressant également pour la gestion des ressources », ajoute-t-il. En déterminant les motifs des précipitations, il devient possible de développer certaines stratégies de gestion des ressources, notamment de l’eau. « En utilisant les résultats de ces mêmes études, on pourrait déterminer, par exemple en Jordanie, les quantités d’eau à stocker. Si une année de sécheresse s’annonce, il faudrait gérer la consommation d’eau des barrages de manière qu’elles durent pour cinq ans (étant la tendance dans la région selon les statistiques NDLR) et non pour une seule année. » explique le chercheur. L’intérêt de ces recherches est essentiellement leur application dans l’exploitation des ressources, comme pour la détermination de l’impact de certains facteurs sur les forêts, tel le changement climatique. Ce dernier a d’ailleurs influencé la croissance des arbres, qui est à la baisse, montrant la portée de ce phénomène dans la région.
Lire dans le bois
Afin d’arriver à de tels résultats, de nombreuses conditions doivent être remplies. Comme nous l’explique le professeur Jean Stéphan, pour « lire » les anneaux de croissance, il faut tout d’abord « trouver des arbres âgés, plus vieux que les premières études météorologiques de la région (soit, au Liban la moitié du XIXème siècle NDLR), que ces derniers soient capables de générer des anneaux de croissance visibles dus aux baisses de températures et/ou d’humidité ».
Autres critères, le nombre d’arbres, la diversité des espèces et la superficie du territoire à analyser, exigent de couvrir de vastes régions à l’image du bassin Est de la Méditerranée. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Liban, « possédant de vieux spécimens », ne peut être considéré à lui seul lors de l’analyse du climat. « Cela se résumerait au microclimat des sites, ne permettant pas de cerner les tendances climatiques globales et pouvant être affecté par des éléments locaux tels que des incendies, des éboulements de terrain, ou l’attaque de parasite si une seule espèce est considérée », continue-t-il.
De plus, de nombreuses limitations existent dans la région : la présence précoce des civilisations, et le manque de données météorologiques, nécessaires pour s’assurer de la corrélation de la croissance des anneaux avec les conditions du milieu, obligent les scientifiques à élargir les surfaces d’analyses.
Enfin, pour analyser les spécimens sans les endommager, on extrait du tronc à l’aide d’une tarière une carotte, qui sera ensuite traitée pour être observée à la loupe binoculaire ou à l’aide de microscope. Le compte, la largeur et l’aspect des anneaux observés permettront de déterminer l’âge de l’arbre, les conditions auxquelles il a fait face, la date de sa mort et ce, avec une datation précise.
La dendrochronologie a permis non seulement d’analyser le climat, mais également de déconstruire certains mythes, comme celui des cèdres millénaires qui ne seraient que centenaires au Liban (les spécimens millénaires étant retrouvés en Turquie), et d’appréhender certains fléaux environnementaux. Par conséquent, la préservation de nos forêts assure celle de l’histoire climatique de notre territoire.