Environnement - Biodiversité
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Pollinisateurs : il n’y a pas que les abeilles mellifères
Stars des médias depuis que le monde craint leur extinction, ces insectes très évolués ont tendance à faire de l’ombre à leurs cousins plus modestes. La Science au Liban fait le point avec le Dr. Dany Obeid.
« Si les abeilles disparaissent de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » Cette célèbre citation que l’on attribue (probablement à tort) à Albert Einstein donne une idée de la peur panique qui s’empare de l’humanité depuis qu’on constate un effondrement dans les colonies d’abeilles de par le monde. Une surmortalité causée par plusieurs facteurs dont l’usage intensif de certains pesticides, des maladies, les effets du changement climatique… Il est donc normal que la star des pollinisateurs – sans lesquels l’immense majorité des plantes ne pourraient pas se reproduire – fasse les gros titres. Mais ce qu’on oublie, c’est que les abeilles mellifères, appréciées aussi pour leur importance économique quand elles sont élevées en ruches, sont loin d’être les seuls pollinisateurs, et que d’autres mériteraient aussi qu’on leur prête attention. « Outre les abeilles mellifères, on peut compter, parmi les pollinisateurs, les bourdons, les abeilles sauvages mais aussi les papillons, certains oiseaux ainsi que les éléments comme le vent et l’eau, qui disséminent parfois les graines », résume Dany Obeid, expert en apiculture et professeur à l’Université libanaise.
Mais alors pourquoi cette prédominance des abeilles mellifères ? L’Apis mellifera, de son nom scientifique, est de loin plus évoluée que les autres insectes. « D’une part, elle a la capacité de choisir les plantes qu’elle veut butiner. D’autre part, contrairement à d’autres espèces, la reine hiberne en compagnie d’une moyenne de 12 000 ouvrières, et non seule, ce qui renforce sa colonie », poursuit l’expert.
Cet insecte, au vu de son importance économique liée au miel, est très bien connu, ayant fait l’objet de nombreuses études : les perspectives de son extinction ont généré, de par le monde, des efforts de conservation qui se sont traduits par une augmentation du nombre d’abeilles élevées, dans l’objectif de compenser les pertes. « Nous ne savons toujours pas expliquer de manière précise les CCD (« Colony Collapse Disorder », ou syndrome d’effondrement des colonies), mais nous constatons que ces phénomènes résultent de 4 à 5 stress différents qui s’exercent en même temps, comme quand se conjuguent la pollution, les pesticides, les maladies, le manque de ressources disponibles… »
On ne trouve pas les abeilles mellifères que dans les élevages, il en existe des colonies à l’état sauvage. Mais celles-ci se font rarissimes, au Liban du moins. Selon Dany Obeid, leurs ruches ont été décimées par des acariens, notamment les Varroa jacobsoni et les Varroa destructor, tout comme par la perte de leurs habitats. Les ruches domestiquées ne survivent à ce fléau que parce qu’elles sont traitées à l’aide d’acaricides.
Une abeille sauvage dormant dans la nature.
Photo Rebecca Chamoun
Les bourdons et les abeilles sauvages
L’autre pollinisateur, le bourdon, « est méconnu et sous-estimé », estime Dany Obeid. Et pourtant, cet insecte, de son nom scientifique Bombus, qui se trouve à l’état naturel au Liban a une importance indéniable dans la nature. En effet, son activité est complémentaire de celle de l’abeille mellifère. « Moins évolué et exigeant que l’abeille, le bourdon butine des plantes souvent boudées par les premières, explique l’expert. De plus, il est actif plus tôt que les abeilles, lorsque les températures sont encore basses. Et il y a beaucoup d’avantages à l’employer dans les cultures sous serres parce qu’une fois qu’il y est, il rend superflue l’utilisation de nombreux pesticides. »
Or pour cela il faudrait le domestiquer, comme cela se fait déjà aux Pays-Bas. Mais au Liban, ce genre de techniques de lutte biologique restent trop coûteuses, notamment dans un contexte de crise. Car la question de la domestication du bourdon pose plusieurs défis, étant donné que les colonies sont bien plus petites que celles des abeilles mellifères, et que le nombre de reines est également plus réduit.
Tout comme le bourdon, les abeilles sauvages – des milliers d’espèces dans la nature, qui ne vivent pas en colonies ni ne produisent de miel – sont bien trop sous-estimées. Elles aussi butinent des plantes que négligent leurs cousines mellifères, et elles sont actives à d’autres heures de la journée, ainsi qu’à d’autres périodes de l’année en haute altitude, à des moments et dans des lieux où les Apis mellifera ne sont pas présentes. Ce qui leur confère une place particulière dans la nature.
L'effondrement de colonies d'abeilles a plongé le monde dans la panique, d'où une augmentation des populations d'abeilles domestiquées en vue de faire face au fléau.
Photo Rebecca Chamoun
Complémentarité plutôt que compétition
Dany Obeid tente souvent de convaincre les apiculteurs de ne pas considérer l’abeille sauvage comme une compétitrice de leurs abeilles domestiquées, allant même jusqu’à leur demander de construire ce qu’on appelle des « hôtels » pour ces insectes dans les environs de leurs ruches, que les reines des abeilles sauvages pourront occuper à la fin de la période d’hibernation.
« Cette idée de compétition entre les insectes me paraît totalement injustifiée. D’une part les apiculteurs craignent pour leurs colonies domestiquées. D’autre part certains écologistes de par le monde pointent du doigt la suprématie des abeilles mellifères dans certains écosystèmes, qui ne laisserait, selon eux, pas de chance aux autres. A mon avis, il faut privilégier la complémentarité entre les insectes, surtout dans un milieu comme le Liban où l’agriculture intensive n’est que peu pratiquée. La biodiversité offre à chacun une place. »
Parmi les autres pollinisateurs, on compte aussi les papillons. Mais, affirme Dany Obeid, ils sont bien moins étudiés que d’autres au Liban, et leur contribution à la reproduction des plantes serait de loin moins importante que celle des abeilles ou même des bourdons. Les oiseaux pollinisateurs, eux, sont surtout actifs dans les forêts tropicales.
Une abeille mellifere butinant une fleur.
Photo Rebecca Chamoun