Environnement - COP 29
Environnement - COP 29
Photo Moustapha SROUR
À la COP29, le Liban alerte sur les ravages écologiques des guerres
À l’occasion du sommet de l’ONU sur le climat, le Liban tire la sonnette d’alarme sur les conséquences écologiques des conflits armés, à travers un appel à intégrer une clause spécifique pour les dommages environnementaux liés à la guerre.
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Alors que le Liban tente de se relever des frappes qui ont ravagé son territoire depuis octobre 2023 entre Israël et le Hezbollah, un désastre souvent invisible, mais tout aussi alarmant, s’ajoute à la dévastation humaine et économique : la crise environnementale. « La guerre, au même titre que les transports ou l’industrie, est un secteur qui pollue énormément », souligne Habib MAALOUF, chef de la délégation libanaise à la COP29. « Il faut absolument qu’une clause spécifique soit ajoutée pour couvrir les dégâts environnementaux causés par les conflits. » poursuit-il. Cette question est l’un des deux points majeurs qu’étaient venus discuter M. Maalouf et sa délégation à Baku en Azerbaïdjan.
Ce constat alarmant s'appuie sur une réalité tangible. La qualité de l’air, des sols, de l’eau et des terres agricoles au Liban a été gravement affectée par les bombardements, compromettant la santé des populations et les moyens de subsistance de nombreuses familles.
"Le Liban fait face à l'une des guerres les plus destructrices de son histoire, avec des conséquences écologiques dramatiques." déclare le ministre sortant de l'environnement Nasser YASSINE lors d'une entrevue accordée à 961 Scientia.
Il souligne également que la reconstruction après la guerre est un terrain fertile pour la corruption, ce qui rend crucial l'appel à des pratiques transparentes et l'intégration des meilleures méthodes scientifiques dans le processus de nettoyage et de réparation des dommages environnementaux. "En visitant des régions comme Nabatieh, Tyr, Dahieh et la vallée de la Bekaa, j'ai pu constater l'étendue inédite des destructions, un défi que ni les efforts académiques ni les technologies disponibles ne peuvent compenser face à la violence de la guerre." ajoute le ministre.
Photo Edward SFEIR
Une pollution de l’air sans précédent
Déjà fragilisé par une forte dépendance aux générateurs à fuel en raison des pénuries d’électricité, le Liban subit une pollution supplémentaire issue des frappes de missiles et de la destruction de bâtiments. « Les substances chimiques des missiles et les particules fines provenant des débris génèrent des composés nocifs comme les dioxines, les furanes et les hydrocarbures aromatiques polycycliques », explique Charbel AFIF, expert en pollution de l’air et chef du département de chimie à la Faculté des Sciences de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
Les particules fines issues des frappes, notamment dans un rayon de deux kilomètres, posent des risques immédiats pour la santé. Alors que l’hiver approche, les précipitations risquent de transférer ces particules vers le sol et les nappes phréatiques.
Particulièrement préoccupante est l’utilisation des munitions au phosphore blanc – dont l’utilisation contre des cibles civiles est interdite par le droit international – qui a été largement documentée, avec plus de 420 bombes recensées par le Centre National des Risques Naturels (NEWSP) du Conseil national de la recherche scientifique. En plus de ses effets dévastateurs sur la santé humaine, ce produit chimique forme des composés inflammables qui polluent durablement l’air et le sol.
Des sols empoisonnés
Les conflits armés entraînent également une destruction directe des terres fertiles et une contamination par des substances toxiques, notamment des métaux lourds tels que le plomb, le mercure et le cadmium. D’après des études menées par le ministère de l’environnement, des concentrations de phosphore blanc jusqu’à 900 fois supérieures aux normes de l’OMS ont été détectées dans certaines zones. Ce polluant rend le sol stérile et augmente son acidité.
En septembre 2024, plus de 1 879 hectares de terres agricoles ont été détruits par les frappes, compromettant gravement la production agricole selon une étude réalisée par les Nations Unies. Ces pertes incluent 47 000 oliviers et des milliers d’hectares de forêts.
Photo Ali SROUR
Une eau contaminée
Le réseau hydrique du Liban n’échappe pas aux dégâts. « Les nappes phréatiques, qui représentent deux tiers de la capacité en eau du pays, sont particulièrement vulnérables à la pollution », explique Samir ZAATITI, expert en hydrogéologie. La nature poreuse et fissurée des roches du Liban facilite l’infiltration des polluants chimiques dans ces ressources vitales.
La contamination par le phosphore blanc, qui persiste dans l’eau sous forme d’acide phosphorique, représente une menace pour la santé publique et l’agriculture. Avec 16 stations hydriques endommagées et de nombreux réseaux de canalisation détruits, l’accès à l’eau potable est gravement compromis.
Photo Moustapha SROUR
Un secteur agricole sinistré
Dans le sud du Liban, où l’agriculture représente jusqu’à 80 % du PIB régional, les frappes ont détruit des cultures essentielles telles que les olives, les bananes et le tabac. Près de 26 % des agriculteurs ne peuvent plus accéder à leurs champs, et 63 % ne peuvent le faire qu’au péril de leur sécurité, révèle une enquête menée en début d’année par les Nations Unies.
Les conséquences ne se limitent pas aux cultures. Plus de 1 700 têtes de bétail et 390 000 volailles ont été perdues, aggravant le problème d'insécurité alimentaire.
Une crise écologique durable
Les impacts environnementaux de cette guerre ne se résumeront pas à des pertes économiques immédiates. Les polluants, par leur persistance et toxicité, constituent une menace pour les écosystèmes. Ces produits chimiques favorisent la bioaccumulation de toxines dans les chaînes alimentaires aquatiques, augmentant les risques de toxicité sur toute la faune, dénonce un rapport de l’Agency for Toxic Substances and Disease Registry (ATSDR).
Les forêts, qui jouent un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité et la régulation climatique, ont également été gravement touchées, avec plus de 1 200 hectares détruits.
Photo Moustapha SROUR
Appel à une responsabilité environnementale
Nasser YASSINE cite l'exemple des tas de caoutchouc qui restent près du port de Beyrouth après l'explosion, une situation qui illustre l'ampleur des défis auxquels le pays est confronté. Malgré des ressources financières et des technologies disponibles, la gestion du caoutchouc est particulièrement complexe, car il est quasiment impossible de trouver un terrain adéquat pour son élimination. Cette situation met en lumière l'importance d'un processus transparent et de la mise en œuvre de principes clairs comme le recyclage et l'utilisation des terres publiques pour la gestion des déchets.
Face à ces constats, des experts comme Habib MAALOUF plaident pour que la responsabilité environnementale des conflits soit reconnue à l’échelle internationale. « Ce n’est pas uniquement pour le Liban ou Gaza que nous demandons cela, mais parce que les désastres créés par la guerre pèsent lourdement sur l’environnement mondial. »
Alors que la reconstruction s’amorce timidement, intégrer la dimension écologique dans les plans de redressement est essentiel pour garantir une reprise durable. Les cicatrices laissées par ce conflit, visibles et invisibles, rappellent qu’en temps de guerre, l’environnement est souvent la victime silencieuse.