Rencontrez les chercheurs - Jeunes chercheurs
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Photo D.R.
Anthony Haidamous, le génome comme boussole et une détermination en acier
À seulement 24 ans, Anthony Haidamous s’impose comme l’un des jeunes visages prometteurs de la recherche biomédicale. Doctorant à l’Université de Lorraine, ce Libanais formé à l’USJ allie bioinformatique, génétique et biostatistiques pour décrypter les mécanismes cachés derrière certaines formes agressives de leucémie. Portrait d’un chercheur engagé, à la croisée des disciplines et des frontières.
Depuis les bancs d’Ain Najm jusqu’aux laboratoires de Lorraine, Anthony Haidamous a toujours eu une obsession : comprendre. Comprendre les mécanismes de la maladie, les signaux invisibles dans notre ADN, les interactions complexes entre gènes, environnement et santé. Aujourd’hui doctorant à l’Université de Lorraine, ce jeune bioinformaticien libanais s’attaque à l’un des défis les plus ardus de l’hématologie : la transformation d’une leucémie bénigne en cancer agressif.
De la curiosité à la vocation
Diplômé du baccalauréat français au Collège des Sœurs des Saints-Cœurs à Ain Najm, il se lance dans une licence en sciences de la vie et de la Terre – biochimie à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ). Il y poursuit également un master en génomique et protéomique fonctionnelles. Ce parcours académique de haut niveau lui donne les outils pour penser la biologie à grande échelle, au croisement entre expérimentation et modélisation.
Mais c’est surtout la rencontre précoce avec un cousin chercheur qui allume en lui l’étincelle scientifique. « Depuis mon plus jeune âge, j’ai été fasciné par la science. J’ai toujours voulu comprendre comment les choses fonctionnent. »
Curieux, rigoureux, mais aussi lucide, Anthony sait que pour se donner les moyens de sa vocation, il lui faut franchir les frontières. En janvier 2025, il quitte le Liban pour intégrer le laboratoire nutrition-génétique et exposition aux risques environnementaux à l’Université de Lorraine (NGERE - INSERM U1256). Là, il commence une thèse ambitieuse, à l’interface entre bioinformatique, génétique, statistiques et cancer.
Comprendre la transformation d’une leucémie silencieuse
Son projet de doctorat s’attaque à un phénomène encore mal élucidé : la transformation de la leucémie lymphoïde chronique (LLC) en un lymphome agressif de type LBDGC, un tournant connu sous le nom de syndrome de Richter (SR).
La LLC est une leucémie indolente, souvent bien contrôlée, qui évolue lentement. Mais dans 2 à 25 % des cas, elle se transforme soudainement en un cancer beaucoup plus agressif et résistant aux traitements. Le SR, forme secondaire du lymphome B diffus à grandes cellules (LBDGC), est particulièrement redouté : sa progression est fulgurante, sa chimiorésistance élevée, et l’espérance de vie médiane tombe à 12 mois après la transformation (contre 10 ans avant transformation).
Le projet d’Anthony vise à identifier les mécanismes biologiques et génétiques à l’origine de cette transition dramatique. Pour cela, il exploite les données de la UK Biobank, l’une des plus grandes bases de données médicales au monde, qui regroupe plus d’un demi-million de profils génétiques, cliniques et biologiques d’individus européens. Car la CLL se manifeste dans la grande majorité des cas chez les individus de descendance européenne avec une médiane d'âge de 72 ans.
La bioinformatique au service de la médecine de demain
En tant que bioinformaticien et biostatisticien, Anthony ne passe pas ses journées en blouse blanche au laboratoire. Il explore des montagnes de données : profils génétiques, antécédents médicaux, marqueurs biologiques, facteurs environnementaux. Grâce aux études pangénomiques (GWAS), il compare des milliers de patients atteints de LLC, de LBDGC primaires ou secondaires, à des individus sains, à la recherche de variants génétiques communs ou distinctifs.
« L’idée est de décrypter les signatures génétiques qui prédisposent certaines personnes à développer une forme agressive de la maladie. On cherche aussi à comprendre les mécanismes qui facilitent cette transformation. »
Il travaille notamment sur la pléiotropie génétique, un phénomène où un même gène peut influer sur plusieurs maladies ou traits biologiques. En croisant ces données avec des réseaux d’interactions protéines-gènes et en menant des analyses causales, il espère révéler de nouvelles cibles thérapeutiques.
L’approche est systémique, intégrative, et profondément novatrice. Elle mêle génétique, bioinformatique, épidémiologie, mais aussi une réflexion sur les liens entre science fondamentale et application clinique.
Une science qui transforme aussi le regard sur soi
Pour Anthony, la recherche n’est pas qu’un travail intellectuel. Elle est aussi un miroir personnel.
« Étudier l’obésité et le diabète m’a poussé à interroger mes habitudes, mon alimentation, mon hygiène de vie. La recherche m’a appris la discipline, mais aussi l’introspection. »
Sa curiosité l’a également conduit à explorer des domaines inattendus. Dans ses projets, il a souvent eu recours à des concepts issus de la psychologie ou de la communication scientifique. Il insiste sur la nécessité de la pluridisciplinarité : une conviction qui le pousse aussi à vouloir enseigner.
« Mon but est de devenir enseignant-chercheur au Liban. J’ai envie de transmettre, de redonner quelque chose à mon pays. »
Anthony HAIDAMOUS aux Journées Ouvertes en Biologie, Informatique et Mathématiques 2025. Photo D.R.
Une critique constructive du système libanais
S’il est désormais bien intégré dans le paysage scientifique français, Anthony garde un regard critique sur le sort de l’enseignement supérieur au Liban. Il invite les étudiants à oser l’international :
« Avec un diplôme libanais, on a souvent moins de portes ouvertes. Mais une fois à l’étranger, il n’y a plus de différence. Ce qui compte, c’est le travail. »
Il ne cache pas sa tristesse face à la dégradation de l’image du Liban :
« Autrefois, les gens admiraient notre pays pour sa culture, son éducation. Aujourd’hui, on est triste pour ce pays. »
Et pourtant, il n’a rien perdu de sa détermination. Il voit dans ses études une manière de construire des ponts : entre pays, entre disciplines, entre générations.
Communiquer pour donner du sens à son travail
Parmi les nombreuses qualités qui le distinguent, Anthony met en avant sa capacité à communiquer la science efficacement, même à l’improviste.
« Il faut savoir parler de science avec rigueur, mais aussi avec clarté et émotion. C’est ce que j’essaie de faire, chaque jour. » Il est convaincu que cette compétence, souvent négligée, est cruciale pour faire avancer la recherche, obtenir des financements, sensibiliser le public, ou tout simplement donner du sens à ses découvertes.